Chaque jour à la même heure, le village des Baillets est recouvert par un nuage de milans noirs, rappelant étrangement l’atmosphère d’un certain film d’Alfred
Hitchcock. Seule différence: ici, les rapaces s’attaquent à de la viande déposée par un boucher.
Il est 13 h 10 lorsque la camionnette blanche d’André Rudaz arrive dans le tout petit village, situé près de Russin. Au-dessus de sa maison, le ciel est noir.
Plus de 300 milans tournent sans répit sous la fine pluie qui tombe ce jour-là.
Des centaines de sifflements aigus se font entendre une centaine de mètres à la ronde. Les arbres qui se dressent aux alentours de la ferme sont autant de
perchoirs pour ces avides rapaces. Ils savent ce qu’est la précision. Les premiers arrivent dès 12 h 30 mais tous sont là au plus tard à 13 h. C’est l’heure à laquelle le boucher et son
véhicule, rempli de restes de viande en provenance de la boucherie Dussauge, pénètrent dans le jardin. Cela fait longtemps que les oiseaux ont appris à les reconnaître.
Plongeons en série
Muni de trois gros bidons blancs, André Rudaz se dirige d’un pas décidé jusqu’au poulailler situé au fond de son jardin. C’est ici que le festin a lieu. Les
morceaux de gras ont à peine le temps de toucher terre que des dizaines d’oiseaux bruns plongent, serres en avant. Ils leur faut souvent plusieurs tentatives avant d’obtenir leur part du
gâteau. Une fois servis, ils remontent manger leur repas dans le ciel avant de redescendre pour un second service. Les cris résonnent dans ce coin de campagne, normalement calme. Les ailes
claquent, les collisions sont régulières. Les bagarres non. Il y a assez de gras pour tout le monde. «Je leur donne chaque jour une trentaine de kilos», précise André Rudaz.
Sept ans de fidélité
Le bal du rase-mottes dure une vingtaine de minutes. Exceptionnellement aujourd’hui, les rapaces se montrent méfiants. Il y a de nouveaux visiteurs et surtout
un appareil photo qui fait des reflets. Les vagues d’oiseaux s’accélèrent donc en fonction de l’éloignement du photographe.
La présence du propriétaire des lieux dans le poulailler ne semble en revanche pas du tout gêner les volatiles. «ça fait sept ans que je leur donne à manger. Au
début ils étaient peu à s’approcher. Maintenant c’est comme si je n’étais pas là», précise André Rudaz qui a commencé son rituel après avoir constaté l’intérêt des milans pour les déchets
qu’il servait à ses poules. «Du coup j’ai préféré leur donner tous mes restes plutôt que de les jeter», indique-t-il. Depuis, même les poules (que les milans n’attaquent pas) semblent s’être
habituées aux battements d’ailes.
Ce n’est qu’une fois les visiteurs éloignés que les rapaces osent se poser pour terminer les restes. Avant de repartir s’occuper de leurs petits. Ils
reviendront demain et, promis, André sera là, comme tous les jours entre le 15 mars et le 15 août, dates de présence de ces migrateurs dans le canton.